Un riz exposé à certaines concentrations de terres rares peut voir sa croissance réduire de moitié. Un phénomène inquiétant qui s'accompagne d'inquiétudes concernant la santé humaine, car une exposition à de fortes concentrations de terres rares via l'alimentation peut aussi être toxique. Décryptage des liens aussi complexes que méconnues entre terres rares et plantes.
Voiture électrique, smartphone, ordinateur, éoliennes… Votre vie quotidienne est parsemée de métaux stratégiques. La demande croissante en terres rares notamment exerce une pression de plus en plus significative sur les réserves mondiales et met ainsi en lumière l’importance cruciale de ces ressources dans la construction d’un avenir durable.
On regroupe derrière ce terme de terres rares dix-sept éléments chimiques omniprésents dans les dispositifs électroniques. Les terres rares sont présentes partout sur terre, mais la Chine reste aujourd’hui le premier producteur mondial de ces matériaux. En Europe, le Groenland et la Norvège sont parmi les territoires les plus scrutés en vue de potentielles exploitations. Une activité qui présente des défis environnementaux et sanitaires considérables, tout comme leur nécessaire traitement après extraction. Car ces opérations peuvent générer des déchets toxiques et entraîner une contamination des sols, des cours d’eau et des écosystèmes environnants.
Des études récentes ont ainsi mis en évidence les effets néfastes de la pollution aux terres rares sur la faune et la flore, soulignant la nécessité d’une gestion responsable de ces ressources précieuses.
Mais l’impact des terres rares sur la croissance des plantes suscite également des préoccupations croissantes dans le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire.
Des terres rares mobiles et polluantes
La concentration en terres rares des sols n’est pas seulement une préoccupation aux abords des sites d’extraction minière, car ces éléments sont mobiles et peuvent être transportés par les eaux. En effet, les terres rares peuvent migrer à travers les systèmes aquatiques, posant ainsi des risques environnementaux sur de vastes zones géographiques.
Il reste cependant difficile de chiffrer précisément le pourcentage de sols affectés par la présence de terres rares, car leur répartition dépend de nombreux facteurs tels que la géologie locale, l’intensité des activités minières, et les dynamiques hydrologiques qui influencent leur migration. De plus, les données disponibles sont souvent fragmentaires et varient selon les régions.
On peut néanmoins souligner que la présence de terres rares dans les sols est une préoccupation croissante à l’échelle mondiale. Par exemple, en Chine, le plus grand producteur mondial de terres rares, la pollution des sols et des eaux par ces éléments est bien documentée, en particulier dans les provinces où l’extraction est intensive, comme la Mongolie intérieure et le Jiangxi. Dans ces régions, les sols peuvent être lourdement contaminés, ce qui entraîne des impacts écologiques et sanitaires graves.
Un riz à la croissance significativement réduite
Chercheurs en géochimie et en écologie fonctionnelle, nous avons cherché à mieux comprendre comment les terres rares influencent la croissance des plantes et notamment du riz, l’aliment de base de la moitié de la population mondiale.
Nous avons ainsi pu constater que lorsque les plants de riz étaient exposés à certaines concentrations de terres rares, une réduction significative de leur croissance et de leur rendement est observée (de 30 % à 50 %).
Effets des terres rares sur la biomasse des pousses et des racines de riz. Les étiquettes « milieu pur », « FeSO4 » et « FeCl2 » correspondent à des expériences menées en présence de terres rares à 0,5 mg/L et 1 mg/L, terres rares et 100 μmol/L de sulfate de Fe(II), et terres rares et 100 μmol/L de chlorure de Fe(II) respectivement. Pour chacune de ces conditions, les étiquettes « c », « 0,5 » et « 1 » correspondent à des concentrations de terres rares de 0 mg/L (contrôle), 0,5 mg/L et 1 mg/L respectivement. Les barres d’erreur correspondent à l’écart-type des mesures. Il n’y a pas de différence statistiquement significative dans la biomasse entre les conditions lorsque la même lettre est affichée.
Mais comment peut-on expliquer cela ? Nos recherches mettent en lumière les interactions complexes entre les terres rares et la croissance des plantes. L’application de terres rares dans le sol peut notamment inhiber l’absorption des nutriments essentiels par les plantes, compromettant ainsi leur santé et leur productivité. Ces effets inquiétants, cependant, ont pu être atténués par la présence d’oxydes de fer.
Différentes réactions selon l’acidité du sol
On le voit bien, la relation entre la chimie du sol et l’accumulation des terres rares dans les plantes est un sujet complexe et encore largement méconnu. Nous avons de ce fait également tâché de comprendre comment les terres rares se comportent dans le sol et s’accumulent dans les plantes.
En examinant des échantillons de sol et de plantes provenant de différents environnements, nous avons ainsi constaté que certains facteurs du sol, comme le pH et la teneur en matière organique, influencent l’absorption des terres rares par les plantes. Les plantes ont par exemple tendance à accumuler des terres rares dans leurs parties aériennes (la tige, les bourgeons, les feuilles, les fleurs, les fruits) selon des schémas qui reflètent la composition du sol environnant. Des facteurs tels que le pH du sol, la texture et la composition minérale peuvent aussi influencer la disponibilité des terres rares pour les plantes et leur capacité à les absorber.
Par exemple, les sols acides (comme on en trouve dans les Landes, ou en Bretagne) ont tendance à favoriser la solubilité des terres rares et donc son absorption par les plantes, tandis que les sols riches en matière organique peuvent agir comme des sorbants (surfaces solides pouvant complexer ces métaux), réduisant ainsi leur disponibilité pour les plantes.
Ces effets néfastes des terres rares sur la croissance des végétaux ne s’arrêtent pas qu’aux plantes qui peuvent absorber ces éléments. Des inquiétudes au niveau de la santé humaine sont également croissantes, car ces éléments peuvent s’accumuler dans la chaîne alimentaire. Or, des études indiquent que l’exposition à de fortes concentrations de terres rares peut entraîner des effets toxiques pour les humains, incluant des risques pour le système respiratoire, le foie et les reins.
Ce qui se joue au niveau des racines
Mais la complexité des liens entre terres rares et plantes ne s’arrête pas là.
Paradoxalement, bien que les terres rares puissent nuire à la croissance des plantes en certaines concentrations, elles peuvent également agir dans d’autres proportion et contextes, comme des nutriments favorisant ainsi leur développement. Cette particularité s’explique notamment par certaines caractéristiques des racines.
Ces dernières jouent en effet un rôle crucial dans la capacité des plantes à absorber les nutriments du sol, y compris les terres rares. Les racines des plantes peuvent évoluer pour exploiter efficacement les ressources du sol, en développant des stratégies d’acquisition de nutriments adaptées à leur environnement.
Dans nos recherches, nous avons étudié comment les caractéristiques souterraines, telles que l’exsudation des racines, c’est-à-dire les molécules que les plantes libèrent par les racines, et les stratégies d’acquisition de nutriments, affectent l’absorption des terres rares par les plantes, jusque dans leurs feuilles. De plus, nous avons observé que les exsudats racinaires libérés dans des conditions de carence en nutriments peuvent mobiliser les terres rares présentes dans le sol, les rendant ainsi plus accessibles aux plantes, afin d’aider au bon développement de la plante.
Ce que les terres rares peuvent nous apprendre sur les stratégies d’acquisition de nutriments des végétaux
Ultime raison de s’intéresser aux rapports entre terres rares et plantes : les terres rares pourraient nous permettre de mieux comprendre les stratégies plus globales des plantes dans l’acquisition de nutriments essentiels comme le phosphore et le fer, deux éléments cruciaux pour leur croissance. Dans nos recherches, nous avons ainsi proposé d’utiliser les terres rares comme indicateurs des stratégies d’acquisition de nutriments pour les plantes.
Car nous avons constaté que les plantes qui avaient des stratégies d’acquisition du phosphore singulières accumulaient les terres rares différemment dans leurs tissus. Une des perspectives de notre unité de recherche est notamment d’étudier la relation entre la profondeur des racines et la concentration en terres rares totale dans la plante afin de développer des méthodes non destructrices et d’identifier ce caractère clef chez les végétaux impliqués dans l’acquisition de l’eau, de l’azote et certains micronutriments et ainsi offrir des nouvelles méthodes dans la sélection de variétés adaptées au changement climatique et aux pratiques agroécologiques.
À propos des auteurs
Olivier Pourret, enseignant-chercheur en géochimie et responsable Intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalle
Michel-Pierre Faucon, enseignant-chercheur en écologie végétale et agroécologie - directeur à la Recherche à UniLaSalle Beauvais
Oliver Wiche, biogéochimiste, Zittau Görlitz University of Applied Sciences
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.