Lundi 21 octobre 2024

Lorsque l’on parle de biodiversité et d’écologie, le sol est souvent le grand oublié. Pourtant, il est essentiel évidemment pour la production agricole, mais également pour les nombreux services qu’il nous rend. Mieux le connaître, avec le secours des nouvelles technologies, c’est donc aussi mieux le protéger.

Chaque année, la France perd entre 20 et 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles ou forestiers sous la pression des activités humaines. Cette destruction du sol met en péril le vivant en général et l’espèce humaine en particulier. Les sols jouent en effet un rôle fondamental : production de végétaux, renouvellement des éléments nutritifs nécessaires à leur croissance, séquestration du carbone, régulation de l’eau, maintien de la biodiversité… L’utilisation des satellites peut contribuer à mieux les préserver.

L’air et l’eau bénéficient depuis de nombreuses années de réglementations et de systèmes de surveillance de leur qualité aux niveaux national et européen. Le sol est loin de disposer d’un tel arsenal pour le protéger. Depuis juillet 2023, une directive européenne relative à la surveillance et à la résilience des sols est en discussion. Mais les seules lois votées en France ces dernières décennies ne prenaient en compte que les risques concernant les sites contaminés.

Pourtant, les pressions qui s’exercent sur le sol ont des origines diverses et sont liées pour la plupart aux activités humaines : le développement industriel, l’urbanisation et les productions agricoles n’ont pas pour seule conséquence sa contamination. Ils aboutissent aussi à des problèmes d’imperméabilisation et de tassement du sol qui empêchent l’absorption des eaux de pluie. L’ensemble de ces éléments génère une perte de la biodiversité des sols qui représente pourtant un quart de la biodiversité terrestre.

Peu à peu, le rôle des sols est reconnu

La prise de conscience de ces menaces progresse. Au niveau national, tout d’abord, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a fixé pour objectif d’atteindre zéro artificialisation nette à l’horizon de 2050. Elle vise à mieux prendre en compte les conséquences environnementales des nouvelles constructions et aménagements des surfaces. Par ailleurs, depuis 2000, le réseau de mesures de la qualité des sols évalue et suit à long terme, grâce à des prélèvements, la qualité des sols français.

Au niveau continental, l’Union européenne construisait, en 2009, le réseau de surveillance LUCAS (Land Use and Coverage Area Frame Survey) destiné à contrôler l’utilisation et la couverture des sols. Mais LUCAS s’est principalement intéressé à la composition physique et chimique des sols ; la description de la biodiversité n’était pas prise en compte. Cet oubli a été corrigé en 2018 : LUCAS a intégré cette année-là, dans sa quête d’informations, les données sur la biodiversité du sol comprenant entre autres les bactéries, les champignons, les arthropodes, les vers de terre… Au niveau mondial, enfin, une résolution de l’ONU intégrait, le 25 septembre 2015, la protection des sols comme l’un des éléments du programme de développement durable à l’horizon 2030.

Cette considération nouvelle pour les sols peut être mise en parallèle avec un renouvellement des pratiques agricoles. Les systèmes de culture conventionnels utilisant une quantité importante d’intrants chimiques (engrais, herbicides, pesticides) ont, en effet, besoin de données physiques et chimiques sur les sols. La quantification du carbone organique, du pH qui détermine l’acidité d’un sol et de la disponibilité d’éléments nutritifs comme le phosphore sont des informations utiles dans un objectif de performance agronomique et de rendement.

Mais ces indicateurs ne sont plus adaptés quand il s’agit d’exploitations en transition vers de l’agroécologie. En effet, la priorité de telles exploitations est de favoriser un équilibre biologique des sols. Cela est cohérent avec la prise de conscience des différentes fonctions remplies par la biodiversité : renouvellement des éléments nutritifs pour les plantes, régulation des pathogènes, transformation du carbone dans le sol, stabilité de sa structure… Cependant, cette prise de conscience peine à faire son chemin dans l’esprit des citoyens. C’est d’abord la valeur monétaire des terres qui leur apparaît.

Les nouvelles technologies pour accompagner la transition vers l’agroécologie

Afin de mettre en évidence tous les autres types de valeur que recèle le sol pour la vie en général et la vie humaine en particulier, l’Union européenne a entrepris de lancer de nombreux projets. L’un d’entre eux consistait à créer un outil d’aide à la décision baptisé Soil Navigator : son rôle est de quantifier les fonctions du sol (production de biomasses agricole et forestière, purification et régulation de l’eau, séquestration du carbone, habitat pour la diversité, cycle des nutriments) à l’échelle européenne. Cet outil repose néanmoins sur la connaissance d’un certain nombre de variables descriptives du sol dont l’acquisition peut être onéreuse ou difficile d’accès pour les agriculteurs.

Des outils comme des capteurs ou des satellites peuvent aider les agriculteurs à faire les meilleurs choix en termes d’utilisation d’engrais, de pesticide ou d’herbicide. De grands groupes spatiaux, des entreprises impliquées dans l’Internet des objets ou des fabricants de matériel agricole contribuent au développement d’outils pour accompagner la transition écologique.

Dès 1985, le programme européen d’observation de la terre Copernicus a participé à la constitution de la base de données CORINE Land Cover (CLC). Elle dresse l’inventaire de l’occupation des sols : villes, forêts, cultures… grâce à l’interprétation visuelle d’images satellites. Aujourd’hui, le programme Copernicus s’appuie sur le déploiement des satellites Sentinel. Les informations qu’ils fournissent à propos de la couverture terrestre et de ses changements, de l’utilisation des sols et de l’état de la végétation sont également des outils précieux pour la gestion de la politique agricole commune.

Des données nombreuses et moins coûteuses pour aider les agriculteurs à prendre soin des sols

Aujourd’hui, les données sont fournies par de plus en plus de supports (satellites, avions, drones, tracteurs…) et sont donc toujours plus nombreuses. Et il n’est pas toujours nécessaire d’en appeler à l’espace ou au ciel pour les obtenir : des capteurs directement placés dans les champs, sur des tracteurs ou sur des machines agricoles fournissent aux agriculteurs des informations détaillées sur l’acidité, la température et l’humidité de leur sol. Elles leur permettent, par exemple, de prédire les conditions météorologiques pour les jours et les semaines à venir et, ainsi, de prendre les dispositions nécessaires à la protection et au rendement de leur culture.

La télédétection est largement utilisée en agriculture, notamment pour le suivi de la végétation. Les drones et les satellites fournissent des cartes de préconisation connectables au matériel agricole, permettant un ajustement des intrants, la détection précoce de maladies et la création de cartes de rendement. Ces aspects, notamment la physico-chimie des sols, ont largement été étudiés dans la littérature.

En revanche, l’étude du fonctionnement biologique des sols ainsi que les relations entre pratiques de gestion et leurs conséquences sur les services écosystémiques n’ont pas ou peu été regardées à l’aide de la télédétection. Ces problématiques liées au sol et à la télédétection font actuellement l’objet de projets à l’échelle nationale comme le projet SolNum porté par UniLaSalle au sein de l’Alliance H@rvest.

En 2019, la Commission européenne a présenté un plan : le Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal) qui porte l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 % en 2030. Les nouveaux outils proposés aux institutions européennes et, entre autres acteurs, aux agriculteurs pour atteindre ce but sont toujours plus nombreux. Les solutions numériques et les méthodes mathématiques de traitement d’images obtenues grâce à l’observation de la Terre depuis les satellites, des drones ou simplement des tracteurs, peuvent contribuer à se rapprocher de cet objectif. Si le recul sur l’utilisation de ces nouveaux outils manque encore, on peut espérer qu’ils contribuent à mieux connaître le sol et, ainsi, à mieux le protéger.

Dans le domaine de la connaissance de leur sol, l’utilisation du spatial et du numérique met également à la disposition des agriculteurs des outils qui leur coûtent finalement moins cher. L’abonnement annuel à une banque de données représente un investissement bien moindre que des forages ou des prélèvements réguliers et leurs analyses. De plus, la prodigieuse quantité d’informations qu’elle met à leur portée leur permet de prendre des décisions agronomiques pertinentes. Le spatial et le numérique représentent véritablement de nouveaux outils à mobiliser pour protéger la biodiversité des sols.

Cet article a bénéficié de l’appui de Jean-Marc Pitte, journaliste et médiateur scientifique. Nous le remercions pour son aide dans la vulgarisation de cette réflexion.

À propos des auteurs

Isabelle Trinsoutrot-Gattin, directrice de l'unité de recherche AGHYLE, UniLaSalle

Elsa Edynak, chargée de projets internationaux sur le sol, UniLaSalle

Jérôme Dantan, enseignant-chercheur en informatique, UniLaSalle

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. 

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