Bioplastiques à base de plantes, biogaz à partir de déchets organiques… les innovations biosourcées participent aujourd’hui à la « dépétrolisation » de l’économie.
Cette évolution impose de réfléchir aux compétences dont les ingénieurs en agronomie et agro-industries ont besoin et de faire évoluer les formations.
Derrière ces nouveaux besoins, il y a le développement de l’économie basée sur le vivant, appelée bioéconomie, dont l’enjeu est de remplacer les matériaux et l’énergie d’origine pétrosourcée par des équivalents issus de la biomasse renouvelable (cultures dédiées ou biodéchets). Celle-ci participe ainsi à la réduction des gaz à effet de serre et donc à la lutte contre le changement climatique.
Le pari de la bioéconomie
La bioéconomie est fondée sur une approche plus respectueuse des écosystèmes pour la production de matières alimentaires et non alimentaires, qu’elles soient d’origine agricole, forestière, ou qu’elles proviennent des productions animales. La valorisation de la biomasse y est pensée dans une approche globale, en prenant en compte l’intégralité du cycle de vie des plantes ou des biodéchets.
En effet, pour que la bioéconomie soit vraiment durable, les agroécosystèmes doivent fournir à la fois des services écosystémiques (par exemple en restituant les matières organiques au sol) mais également assurer la production des bioressources dans un contexte d’accélération de changement climatique et de perte de biodiversité.
Puisqu’elle permet de limiter le recours aux produits pétrosourcés, la bioéconomie représente l’un des piliers de la stratégie de la France pour atteindre ses objectifs climatiques. Pour rappel, il s’agit de réduire de 50 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Le marché qu’elle représente s’élève déjà à 326 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit près de 15 % du PIB et deux millions de salariés en France. La France compte d’ailleurs doubler la masse annuelle de biomasse exploitée hors finalités alimentaires d’ici 2050. L’objectif est de générer de 50 000 à 100 000 nouveaux emplois par année dans ce secteur.
Avec plusieurs enjeux clés pour l’agronomie et ses praticiens :
- l’allocation des sols en fonction des usages,
- la conception et l’optimisation des procédés de transformation,
- l’organisation des filières agricoles,
- et le développement de compétences nouvelles.
Cela impose d’anticiper les métiers et les besoins d’expertise et de formation. Ce constat a amené certaines écoles d’ingénieurs à adapter, voire réinventer la formation des ingénieurs en agronomie et agro-industries. C’est notamment le cas à l’Institut polytechnique UniLaSalle.
Trois grands profils doivent être envisagés, que l’on détaillera ci-dessous.
Premier profil : l’ingénieur agroécologue
L’ingénieur agronome se transforme aujourd’hui en ingénieur agroécologue, et intègre de nouvelles compétences en écologie, en zootechnie combinée au bilan de gaz à effet de serre du système d’élevage et en simulation numérique.
L’ingénieur agroécologue cherche à produire et mobiliser de nouvelles biomasses : alimentaire (riche en protéines végétales insuffisamment produites en France et en Europe), non alimentaire, tout cela sous un nouveau régime climatique et tout en préservant les écosystèmes et les ressources naturelles.
Dans la formation d’ingénieur agroécologue, l’accent est ainsi mis sur la non-concurrence entre les cultures alimentaires et non alimentaires dans l’usage des sols, la valorisation de la diversité de fonctions des plantes et de la biodiversité du sol, et plus globalement, des fonctions des sols.
Elle s’appréhende à travers la compréhension des processus sol-plante-atmosphère et l’étude des pratiques agricoles (fertilisation, de travail du sol et de protection de cultures). Concrètement, elle passe également par le prototypage d’outils, l’expérimentation au sein d’un réseau d’essais chez et avec les agriculteurs, et par la simulation numérique.
L’un des rôles de l’ingénieur agroécologue est de penser le recyclage des coproduits agroindustriels et des biodéchets afin de boucler les cycles biogéochimiques du carbone, de l’azote et du phosphore, tout en produisant de l’énergie renouvelable.
La formation de l’ingénieur agroécologue à UniLaSalle intègre ainsi en deuxième et troisième année des activités de recherche-actions qui combinent à la fois l’agroécologie et la bioéconomie. Durant plusieurs mois, les étudiants travaillent avec divers acteurs du territoire (agriculteurs, coopératives, entreprises, collectivités locales…). De quoi appréhender la complexité tant écologique que sociotechnique du sujet, entre hétérogénéité des sols, rotation des cultures, diversité génétique et attentes sociales diverses en fonction des acteurs. Autant d’aspects rarement abordés simultanément dans les modèles conventionnels.
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Les étudiants examinent par exemple les effets de la diversification des cultures promues par la bioéconomie (association de cultures en simultanée ou en relais, agroforesterie, développement de cultures pérennes, valorisation des infrastructures agroécologiques) sur les agrosystèmes dans des conditions « bas intrants » (c’est-à-dire, avec peu d’apports en énergie fossile et en azote de synthèse).
En collaboration avec les enseignants-chercheurs, ils testent des variétés et leurs mélanges dans différents environnements. Ces deniers sont définis par les facteurs climatiques, les pratiques agricoles (travail du sol intégrant le sans-labour, fertilisation organique…), et les associations de cultures (simultanée pois-avoine ou orge, ou en relais d’orge d’hiver et de soja). L’enjeu est d’adapter les systèmes de culture aux changements climatiques actuels et futurs.
Deuxième profil : le bioingénieur de la transformation
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait Lavoisier. Cette formule est au cœur du deuxième profil, celui du bioingénieur de la transformation.
Sa tâche est de développer et d’améliorer les matériaux biosourcés et/ou de nouvelles biomolécules pour remplacer les produits pétrosourcés. Il travaille ainsi à développer des procédés efficients au plan écologique (moindre consommation de solvants chimiques, d’énergie et d’eau), moins énergivore, et moins producteurs de déchets tout en minimisant les rejets de polluants et de gaz à effet de serre.
Ceci se joue à deux niveau :
- d’une part au sein des écosystèmes en eux-mêmes où la restitution de matière organique améliore la fertilité des sols,
- d’autre part à travers les procédés de valorisation de la biomasse, notamment les co-produits des cultures, par exemple via la méthanisation.
L’enjeu est de limiter l’impact environnemental des procédés permettant de produire des énergies, matériaux et autres molécules biosourcées. Ce principe d’optimisation repose sur l’utilisation en cascade, un système vertueux visant à maximiser l’efficacité de la biomasse.
Pour y parvenir, les bioingénieurs de la transformation développent une expertise en génie des procédés et/ou des biotechnologies. Cela requiert une compréhension approfondie des mécanismes physiques et biologiques de la transformation de la biomasse, aussi bien en laboratoire qu’à l’échelle industrielle. De plus, la modélisation et la simulation jouent un rôle croissant dans l’optimisation de ces procédés, rendant ces compétences de plus en plus indispensables.
Les étudiants se forment et s’exercent ainsi aux outils de la modélisation multi-physique et 3D au sein d’un Lab numérique partagé mais également dans des laboratoires physiques (par exemple, des bioréacteurs pour la fermentation, des plates-formes préindustrielles comme une halle technologique alimentaire ou des plateformes de bioprocédés comme l’ozonation par exemple.
Ces innovations peuvent également mobiliser une approche créative, notamment dans le cadre du biomimétisme. L’étude du rumen de la vache peut ainsi inspirer l’amélioration des méthaniseurs, tandis que l’étude de la structure la pomme de pin pour les échangeurs de chaleur permet d’optimiser les échangeurs de chaleur.
Troisième profil : L’agronome des territoires
L’ingénieur agronome doit enfin prendre en compte l’échelle territoriale pour prendre en compte les défis économiques, climatiques et ceux liés à la biodiversité, dans un contexte d’instabilité géopolitique marqué. Les filières avec lesquelles il travaille peuvent avoir des dimensions variables : circuit court, régional, national…
En ce sens, il doit avoir des compétences en agronomie, mais aussi en sciences sociales. Par exemple, savoir lire les dynamiques humaines entre les différentes parties prenantes des filières (producteurs, stockeurs, transformateurs, consommateurs…), animer des collectifs et concevoir des dispositifs de médiation afin de favoriser la concertation locale. Une connaissance approfondie des méthodes et outils de la sociologie, voire de l’anthropologie, lui sont nécessaires. Il lui faut également maîtriser et anticiper les politiques publiques et réglementaires ainsi que celles concernant l’aménagement du territoire.
Citons un exemple. Les systèmes territorialisés alimentaires, qui prônent une refonte en profondeur des modèles mondialisés et financiarisés de la production alimentaire mondiale, impliquent de prendre en compte cette échelle locale. Ces dimensions humaines sont donc essentielles pour gérer les flux, les échanges et les marchés dans un contexte d’incertitude et s’avèrent complémentaires à la maîtrise scientifique et technique pures.
Par exemple, le développement de nouvelles filières de légumineuses nécessite de définir les besoins alimentaires journaliers en protéines de la population du territoire, l’évolution des régimes et comportements alimentaires, mais également leurs attentes et celles des distributeurs en termes de qualité et de formulation, ainsi que les zones de production, de collecte et stockage et de transformation.
Le regain d’intérêt pour les métiers de l’environnement parmi les jeunes est réel et s’explique par la combinaison de facteurs socio-économiques, politiques, et éthiques. Cependant, la réalité et les opportunités du secteur de la bioéconomie sont souvent méconnues des collégiens et lycéens, voire de leurs enseignants.
Alors que la jeunesse est en recherche de sens, il est urgent que tous les acteurs se mobilisent – représentants des agriculteurs, éducation nationale et enseignement supérieur, instituts de recherche – pour dialoguer avec la société de manière à mieux expliquer la diversité et le potentiel de ces métiers et proposent des formations qui contribuent à façonner les transitions agroécologiques, alimentaires et énergétiques.
Michel-Pierre Faucon, Enseignant-chercheur en écologie végétale et agroécologie - Directeur délégué à la recherche à l'Institut Polytechnique UniLaSalle, UniLaSalle; Karine Laval, Directrice recherche et développement, UniLaSalle; Sébastien Laurent-Charvet, Directeur de l'enseignement et des formations, UniLaSalle et Valérie Leroux, Directrice générale déléguée & Directrice du campus de Rouen, UniLaSalle
Cet article a bénéficié de l’appui de Anne Combaud, Pierre-Yves Bernard, David Houben et Laurent Ouallet, engagés dans la formation des ingénieurs agronomes.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.