Jeudi 20 février 2025

Les sols agricoles ont un rôle climatique ambivalent : ils peuvent à la fois constituer des puits de carbone ou au contraire être une source de gaz à effet de serre. Pour comprendre à quelles conditions l’agriculture peut être l’alliée de la transition climatique, il faut s’intéresser à la structure du sol et notamment à la taille des agrégats qui le composent. Les pratiques agricoles, entre labours, semis direct ou couverture de légumineuses entre les cultures, ont leur importance.

L’agriculture est appelée à jouer un rôle clé dans le Pacte vert de l’Union européenne, dont l’ambition est d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Une question d’autant plus cruciale que le Salon de l’agriculture fait son retour du 22 février au 2 mars 2024.

Il faut dire que les sols agricoles sont ambivalents : ils peuvent à la fois constituer une source de gaz à effet de serre ou, au contraire, des puits qui les piègent dans les sols plutôt que dans l’atmosphère et les empêchent de contribuer au changement climatique.

Alors, meilleurs alliés ou menace souterraine ? Pour le comprendre, il faut s’intéresser à la structure du sol et, plus particulièrement, aux agrégats qui reflètent l’organisation des particules du sol.

Le peuple microbien qui habite les sols

En effet, ce qu’il y a sous nos pieds n’est pas un bloc compact, un substrat plein et homogène. Le sol est constitué de particules plus ou moins grosses qui s’assemblent, tout en laissant entre elles des espaces qui se remplissent d’air ou d’eau. Ces morceaux de tailles diverses sont appelés agrégats. Ce sont des ensembles hétérogènes de particules qui adhèrent solidement entre eux, comme le montre la figure ci-dessous.

 

Comment se forment les agrégats de particules dans le sol. Fourni par l'auteur
 

Ces agrégats constituent des environnements peuplés de micro-organismes. Parmi eux, des microbes qui, du fait de leur activité, produisent notamment des gaz à effet de serre (GES) comme du méthane (CH₄) et du protoxyde d’azote (N₂O).

Pour comprendre d’où viennent les molécules qui vont être transformées par les microbes pour produire des gaz à effet de serre, il faut d’abord rappeler que les végétaux captent le dioxyde de carbone (CO2) dans l’air afin de fabriquer de la matière (feuilles, tiges, bois…). Celle-ci finit, en partie, dans le sol sous forme de résidus de feuilles, de tiges ou de racines mortes.

Ces résidus peuvent selon les cas :

  • soit être stabilisés dans les agrégats, où ils ne sont pas accessibles aux micro-organismes en raison de la barrière physique formée par les agrégats eux-mêmes autour de la matière organique,
  • soit servir de nourriture aux micro-organismes, puis être relâché dans l’atmosphère comme gaz à effet de serre.

Les sols peuvent donc se comporter comme des puits de carbone. En piégeant le carbone de la matière organique dans le sol, ils contribuent à réduire la concentration de CO2 dans l’atmosphère.

C’est la balance entre les gaz à effet de serre émis par les sols et ceux piégés par ces derniers qui va donc permettre d’évaluer l’aspect bénéfique ou délétère d’un sol – et par la même occasion, des pratiques agricoles –sur le changement climatique.

 

Une étude pour comprendre où naissent les gaz à effet de serre des sols

Nous avons mené une étude pour comprendre où ces gaz à effet de serre sont formés dans le sol. Concrètement, pour cela, nous avons examiné comment le travail du sol et les couverts végétaux affectaient les agrégats du sol.

Pour ce faire, l’étude s’est appuyée sur des travaux précédents, et notamment une expérience de terrain menée durant près de 30 ans dans le sud du Brésil. Celle-ci comparait des parcelles labourées et non labourées, puis des parcelles bénéficiant d’une couverture de légumineuses pendant les périodes d’interculture à d’autres qui n’en bénéficiaient pas.

Des échantillons de ces sols ont été prélevés et les agrégats du sol séparés en trois classes selon leurs tailles :

  • les grands macroagrégats (entre 2 et 9,5 mm),
  • les petits macroagrégats (entre 2 et 0,25 mm) et
  • les microagrégats (inférieurs à 0,25 mm).

Ensuite, nous avons évalué en laboratoire les émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) issues de chaque classe d’agrégat du sol pendant six mois ainsi que l’accumulation du carbone organique du sol (COS) afin d’évaluer si celle-ci compensait les émissions ou non.

Nos résultats montrent que c’est dans les grands macroagrégats, notamment ceux que l’on observait sur les parcelles non labourées et associées avec les couverts de légumineuses, que se déroulait l’activité microbienne la plus intense. C’est dans ces macroagrégats que les émissions de gaz à effet de serre et notamment de protoxyde d’azote – un puissant gaz à effet de serre – étaient les plus élevées.

 

La production de gaz à effet de serre, dans le sol, est plus intense au niveau des macroagrégats que des microagrégats. Fourni par l'auteur
 

Le niveau de ces émissions était corrélé aux concentrations de nitrate et de carbone organique dissous dans les macroagrégats, ce qui suggère que le processus responsable de l’émission de protoxyde d’azote est la dénitrification. Ce processus est la conversion du nitrate en protoxyde d’azote par les bactéries hétérotrophes du sol qui ont besoin d’une source de carbone soluble pour réaliser cette conversion.

Toutefois, les émissions de protoxyde d’azote de ces macroagrégats sont totalement compensées par l’accumulation de carbone organique d’une part, et par la fixation du méthane produit par les bactéries d’autre part. Le méthane est ainsi fixé dans le sol grâce à un phénomène d’oxydation appelé méthanotrophie : les bactéries consomment le CH4 au lieu de le produire.

Par conséquent, au niveau global, les macroagrégats de ces échantillons piègent plus de gaz à effet de serre qu’ils n’en libèrent.

 

L’intérêt du non-labour

Si on se place à l’échelle des parcelles individuelles, ce sont ainsi les échantillons de parcelles n’ayant pas été labourées (semis direct) qui présentaient la balance émission/absorption de gaz à effet de serre la plus intéressante. Pour chaque kilogramme de matière organique accumulée dans le sol grâce aux techniques de semis direct, on observait ainsi la capture de 69,4 mg équivalent CO2eq, contre 57,1 mg pour les parcelles labourées.

La différence entre les deux se joue au niveau des macroagrégats, qui, sans labour, ne sont pas brisés en plus petits agrégats. Il y a alors davantage d’espaces (porosité) entre les gros agrégats, ce qui permet une meilleure oxygénation des interstices et donc une oxydation facilitée du méthane (CH4) ainsi qu’un processus de dénitrification moins important. La présence d’oxygène dans le sol est le principal ennemi des bactéries productrices de méthane et de protoxyde d’azote : il s’agit de bactéries anaérobies qui ont besoin d’un milieu sans oxygène. En conséquence, moins de méthane et de protoxyde d’azote sont émis par ces sols.

Lorsque les microagrégats dominent, au contraire, le bilan carbone est moins intéressant : certes, les émissions de protoxyde d’azote y sont moins importantes, mais la consommation de méthane y est limitée, et l’accumulation de carbone organique moindre. Il y a donc moins de gaz à effet de serre piégés ou éliminés, et la balance est plus défavorable.

L’effet bénéfique du non-labour est encore accentué par la présence de couverts végétaux de légumineuses en interculture, qui augmentent les quantités de matière organique dans le sol et donc la quantité de carbone ainsi stockées.

Chaque kilogramme de matière organique accumulée sous des couverts de légumineuses correspond ainsi au stockage de 74,7 mg équivalent CO2, contre 51,8 mg CO2eq pour les sol avec des couverts sans légumineuses.

Ces résultats montrent qu’augmenter la quantité de matière organique dans le sol grâce aux systèmes sans labour et aux couverts de légumineuses aide à compenser les émissions de gaz à effet de serre des sols. Cela suggère que les macroagrégats du sol peuvent agir comme un puits de carbone atmosphérique.

 

Le risque inondation en question

Alors, le non-labour et le semis direct sont-ils des solutions miracles ? Non, car lorsque les échantillons sont saturés en eau, ceci afin de reproduire les conditions de parcelles inondées du fait des nouveaux risques climatiques, la saturation du sol en eau empêche alors son aération correcte. L’absence d’oxygène empêche alors l’oxydation du méthane et favorise la dénitrification émettrice de protoxyde d’azote. En conséquence, les émissions de gaz à effet de serre sont alors beaucoup plus élevées dans les macroagrégats.

Dans tous les autres cas de figure, les pratiques agricoles qui utilisent le semis direct et la couverture végétale de légumineuses en interculture contribuent à faire de nos sols des puits de carbone grâce à l’accumulation de cet élément dans les macroagrégats qui, par conséquent, favorisent la lutte contre le changement climatique.The Conversation

Murilo Veloso, Enseignant-chercheur en Science du Sol, Unité AGHYLE, Campus de Rouen, UniLaSalle; Anouk Lyver, Doctorante en biologie des sols, UniLaSalle et Coline Deveautour, Enseignante-Chercheuse en Ecologie microbienne des sols, UniLaSalle

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.