Bien que l’univers de Tolkien soit fascinant, il n’est pas exempt de contradictions, notamment sur le plan géologique. Loin de tout réalisme, montagnes, fleuves et paysages y sont des lieux associés à un univers mythologique.
L’univers de J.R.R. Tolkien occupe une place emblématique dans la littérature fantastique. Les œuvres telles que Le Seigneur des Anneaux et Le Silmarillion témoignent de la capacité de Tolkien à créer un monde d’une grande richesse, peuplé de civilisations anciennes, de créatures légendaires et de paysages spectaculaires.
La Terre du Milieu (Middle Earth en anglais), avec ses étendues vastes, ses montagnes imposantes et ses forêts mystérieuses, est le théâtre d’une épopée qui continue de captiver des générations de lecteurs. Les adaptations cinématographiques de Peter Jackson ont renforcé cette fantasmagorie, et la série Les Anneaux de Pouvoir produite par Prime Video poursuit dans cette direction en explorant de nouveaux aspects de cet univers tout en maintenant l’attrait visuel et la profondeur mythologique de l’œuvre originale.
Cependant, bien que l’univers de Tolkien soit fascinant, il n’est pas exempt de contradictions, notamment sur le plan géologique. Des montagnes créées par des actes fantastiques aux volcans défiant les lois de la tectonique des plaques, la carte de la Terre du Milieu contient des éléments qui échappent à une explication scientifique conventionnelle. Cet article examine ces incohérences à la lumière des connaissances modernes, en mettant en perspective les descriptions géographiques de Tolkien avec leur interprétation dans les films de Peter Jackson et la série de Prime Video, tout en cherchant à comprendre comment les nécessités du récit ont parfois prévalu sur la plausibilité géologique.
Reconstruction tectonique de la Terre du Milieu par Reynolds (1974)
Géologie et fantasy : une contradiction inévitable ?
Lorsque Tolkien a conçu la Terre du Milieu, il ne cherchait pas à créer un monde géologiquement exact, mais à bâtir un univers mythique et épique pour ses récits. S’inspirant des légendes et mythes anciens, notamment de la mythologie scandinave, il a façonné un monde régi par des forces surnaturelles plutôt que par des lois naturelles. Tolkien lui-même reconnaissait les limites géologiques de son monde, admettant dans sa correspondance que la géologie de la Terre du Milieu était « gravement imparfaite selon les normes de la science moderne ». Cela montre que la précision scientifique n’était pas sa priorité ; il privilégiait l’aspect mythique de son univers.
Ce choix s’explique en partie par le contexte scientifique de l’époque. Au moment où Tolkien écrivait Le Seigneur des Anneaux (dans les années 1930 et 1940), la théorie de la tectonique des plaques n’était pas encore bien établie, et ce n’est qu’à la fin des années 1960 qu’elle a été largement acceptée. Les connaissances sur la formation des montagnes et des volcans étaient limitées, et Tolkien, sans formation en géologie, a imaginé un monde où les reliefs étaient façonnés par des forces surnaturelles. Mais même s’il avait écrit plus tard, à un moment où la tectonique des plaques aurait été bien connue, qu’est-ce qui l’aurait empêché de tout imaginer, dans un monde de fantasy ? S’attendait-on à ce qu’il soit scientifiquement irréprochable ?
Dans cet univers, les montagnes, fleuves et forêts ne sont pas de simples éléments du paysage, mais le fruit d’actes fantastiques ou le lieu de batailles mythologiques. Par exemple, les Monts Brumeux, créées par Morgoth, ne sont pas le résultat de la tectonique des plaques, mais d’une intention narrative précise. De même, la destruction de Númenor et la submersion de l’ancienne Terre d’Aman relèvent plus de récits mythologiques, notamment en s’inspirant du mythe de l’Atlantide, que de processus géologiques naturels.
Des incohérences géologiques dans l’œuvre de Tolkien
L’univers de Tolkien présente des incohérences géologiques marquées, exacerbées par les choix narratifs de l’auteur. Trois exemples notables sont les Monts Brumeux, Mordor et le Mont Destin, ainsi que les Montagnes Blanches.
Les Monts Brumeux (Misty Mountains) : Cette chaîne s’étend sur des milliers de kilomètres avec une orientation nord-sud presque parfaite. En réalité, une telle formation supposerait une faille géologique majeure ou une longue histoire tectonique, absente du récit. Une telle chaîne de montagnes aussi vaste et linéaire résulterait normalement de processus complexes comme la collision de plaques tectoniques, avec des preuves de plissements, de failles et de déformations importantes, qui ne sont jamais mentionnées dans l’œuvre de Tolkien. L’absence de ces détails géologiques suggère que ces montagnes ont été créées pour servir des besoins narratifs, plutôt que pour refléter des réalités géologiques.
Mordor et le Mont Destin (Mount Doom)
Le Mont Destin (aussi traduit la Montagne du Destin), un volcan actif depuis des millénaires, est le seul du Mordor, ce qui est peu probable d’un point de vue géologique sans autres manifestations volcaniques associées. L’éruption provoquée du Mont Destin, un moment central de la série Les Anneaux de Pouvoir, est un exemple de comment la narration peut prendre le pas sur la logique géologique. Dans la série, cet événement cataclysmique est déclenché de manière intentionnelle, illustrant comment les forces mythiques et narratives façonnent les événements, pour créer le Mordor, tout en s’éloignant des processus géologiques réalistes.
Le Mont Destin (c.-à-d., le Mont Ngauruhoe) – Mount Doom.
D’un point de vue géologique, ce type de volcans se forment le long des zones de convergence où une plaque tectonique océanique glisse sous une plaque continentale ou une autre plaque océanique, un processus appelé subduction. Au fur et à mesure que la plaque plonge dans le manteau, elle subit une augmentation de la température et de la pression, ce qui provoque la libération de fluides volatils comme l’eau. Ces fluides, en s’échappant de la plaque subduite, abaissent le point de fusion du manteau sus-jacent, créant du magma. Ce magma, moins dense que la roche environnante, remonte à la surface en formant des volcans. Ces volcans sont souvent situés dans des chaînes montagneuses comme les Andes ou des arcs insulaires comme les Petites Antilles.
Exemple de schéma illustrant l’hydratation d’une lithosphère océanique en subduction à l’origine de volcanisme (d’après Deschamps et coll., 2013)
Les Montagnes Blanches (White Mountains)
Situées bien au sud, ces montagnes sont décrites comme enneigées en permanence, ce qui est incohérent avec le climat de la région.
Dans la réalité, les montagnes enneigées de façon permanente sont généralement situées à des latitudes élevées, proches des pôles, ou à des altitudes très élevées où les températures restent basses toute l’année.
Les Monts Brumeux, Unsplash.
Or, les Montagnes Blanches se trouvent bien au sud de la Terre du Milieu, dans une zone qui correspondrait approximativement à un climat tempéré ou même subtropical dans notre monde. Dans une telle région, il est improbable qu’une chaîne de montagnes puisse rester enneigée en permanence, sauf si elle atteint des altitudes extrêmement élevées, ce qui n’est pas le cas pour les Montagnes Blanches telles que décrites par Tolkien. Le contraste entre leur localisation géographique et leur enneigement perpétuel constitue ainsi une incohérence climatique, car un climat plus chaud et tempéré rendrait difficile la persistance de la neige à des altitudes modérées.
Pourquoi les adaptations amplifient les incohérences géologiques
Les films de Peter Jackson et la série Les Anneaux de Pouvoir ont accentué ces incohérences pour des raisons visuelles et narratives. Les paysages grandioses et les environnements extrêmes, bien qu’impressionnants, peuvent parfois défier la vraisemblance géologique. Par exemple, le Mordor est représenté comme une terre aride dominée par un Mont Destin isolé, créant une monumentalité au détriment de la crédibilité scientifique. L’éruption provoquée du Mont Destin dans la série Les Anneaux de Pouvoir, moment fondateur du récit, accentue cet aspect en introduisant un élément spectaculaire, mais peu plausible d’un point de vue géologique. De même, les Montagnes Blanches, avec leurs sommets enneigés, sont encore plus majestueuses à l’écran, accentuant l’aspect épique, mais déformant la réalité climatique.
L’univers de Tolkien, magnifié par les adaptations cinématographiques et télévisées, dépasse les réalités géologiques pour servir une narration épique et une mythologie cohérente en elle-même. Si les incohérences géologiques sont indéniables, elles sont largement compensées par la richesse narrative et l’immersion que cet univers procure. Les films de Peter Jackson et la série Les Anneaux de Pouvoir, tout en amplifiant certaines incohérences, réussissent à capturer l’essence épique de la Terre du Milieu, offrant un monde fictif captivant malgré ses « failles » scientifiques.
À propos des auteurs
Olivier Pourret, enseignant-chercheur en géochimie et responsable Intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalle
Élodie Pourret-Saillet, enseignante-chercheuse en géologie structurale, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.